ILL Jerome Bertrand
Présenté du 6 avril au 14 mai 2019 à la galerie Voix visuelle située au 67, avenue Beechwood à Ottawa, On. CANADA
Dans cette série photographique, j’exprime ma fascination pour le mouvement transhumaniste qui a émergé dans les années 1980. En intégrant des artefacts industriels dans son corps, l’humain passe un seuil important dans sa différenciation de la nature puisqu’il se modifie lui-même selon sa propre volonté.
ILL vise à porter la réflexion sur le culte de la technologie et le mythe de l’amélioration de l’humain en mettant en scène des individus soignés au moyen d’implants technologiques dans un espace vide, représentant ainsi un environnement stérile. Les personnages de la série sont statiques, dénués de sentiment et d’émotion, figés tels des mannequins. Inspiré par l’art antique pour les poses, en utilisant une iconographie mythologique, je fais référence au vieux rêve de l’humanité qui est de s’élever au même niveau que les dieux, immortels, et représentés comme ayant des corps parfaits. Les mêmes mythes se retrouvent aujourd’hui sous la forme des super-héros, dans la vénération des exploits sportifs et dans une plastique humaine idéalisée par les icônes publicitaires. Aujourd’hui, le fantasme du surhomme semble à portée de main, les croyances anciennes ayant été remplacées par le dogme du progrès scientifique et d’une technologie providentielle, voire messianique.
Il me paraît logique que cette mutation passe d’abord par le domaine médical pour se répandre ensuite vers les masses pour qui, plutôt que de se réparer, il sera question de s’augmenter. La recherche de performance toujours plus criante nous amène à chercher des moyens plus rapides et plus faciles pour y arriver. C’est dans cette optique que j’entrevois l’homme de demain. Toutefois, celui-ci ne s’en retrouvera t’il pas éternellement brisé? Je pose la question parce que la rapidité avec laquelle nous cherchons à nous corriger est exponentielle et semble n’avoir aucun frein. L’art sert ici à montrer du doigt afin qu’en résultent des débats d’ordre moral face à cette accélération. Notre relation de plus en plus intime avec l’artifice technologique doit être évaluée sur les plans individuel et sociétal et les images proposées dans ILL cherchent à provoquer ce raisonnement.
Présenté du 10 au 16 mai 2017 à la Galerie Erga située au 6394 St Laurent Blvd, Montréal, QC. CANADA
Colossale, pharaonique, monumentale, la série de photographies de Jérôme Bertrand intitulée ILL sidère par ses dimensions outrancières et l’apparent stoïcisme de ses sujets érigés en imposants modèles du devenir humain dans un futur qui n’est plus si lointain.
Simple scénario d’anticipation ou condamnation d’un avenir qui dépouille progressivement les êtres de leurs « reliefs » d’humanité au profit d’une technologie vouée à l’expansion de la performance, de la productivité, de la durabilité, ILL nous accule à réfléchir, et vite, à ce qui est déjà là en substance et nous guette au détour de notre prochaine défaillance organique.
Parangons de perfection, ces nouveaux canons du XXIe siècle à la plastique et à la froideur irréprochables exhument les rêves de grandeur de toutes les civilisations majeures de l’Histoire du monde et nous donnent à repenser leur mégalomanie. De l’Egypte ancienne et ses pharaons bâtisseurs mus par un désir puissant d’immortalité, jusqu’aux régimes dictatoriaux de l’ancienne URSS usant du monument comme d’un outil géant de propagande, tous nous ont livré leur représentation de l’homme suprême et infaillible à travers la démesure et la volonté d’immuabilité.
Grâce à la technologie et à la dématérialisation, la pérennité de l’image – support roi – supplante désormais la résistance de la pierre à travers le temps, et sa démocratisation en fait le vecteur le plus utilisé et le plus accessible pour nous vendre la chimère de l’homme-machine comme idéal compensatoire à nos faiblesses émotionnelles et à nos limites biologiques.
Ici, bien que Jérôme Bertrand substitue la photographie à la sculpture, il se réapproprie les codes, la rigidité et le « gigantisme » de la statuaire hellénistique et y ajoute la part mythologique réactualisée : la prothèse, le composant électronique, le circuit informatique… à ceci près qu’aujourd’hui, il ne s’agit plus seulement de représentation, d’aspiration ou d’affabulation pour la postérité. La réalité augmentée n’est plus virtuelle et certains en ont même déjà profité. Grâce, entre autres, aux prothèses myoélectriques, l’homme bionique est en marche et met un violent coup de pied à notre vision apitoyée du handicap, la reléguant à une hérésie moyenâgeuse. L’infirmité serait donc dès à présent le nouvel atout permettant de bénéficier de ces technologies de pointe et déclasserait ainsi la sacro-sainte
« normalité » au rang d’attribut d’une sous-espèce.
Néanmoins, la présence écrasante des « humains-cyborgs » rafistolés de Jérôme Bertrand nous confronte à un paradoxe actuel. Alors que nous adhérons à cette version subversive du « surhomme », admirons et convoitons ce modèle de toute-puissance, de beauté, d’apparente perfection et d’impassibilité, nous saturons l’espace virtuel de nos états d’âme via les réseaux sociaux, y étalant nos émotions, nos opinions, cherchant à nous démarquer et à faire valoir notre « différence ». Nous fermons les yeux sur les visées réelles d’une société qui tend à nous réduire à des produits markétés, à faire de nous les rouages inusables d’une industrie du rendement toujours plus compétitive. Nous refusons de voir de toutes nos forces combien la technologie nous asservit peu à peu.
ILL semble nous interroger sur la nature même de cette « maladie » ainsi que sur ses frontières. Est-elle dans notre corps et dans ses faiblesses, est-elle dans notre esprit ? Est-il insensé de vouloir toujours dépasser les limites de sa condition ? La folie de l’homme est-elle collective ou instillée de manière subliminale par les modèles sociétaux dits modernes qui lui sont imposés ? L’homme va-t-il finir par perdre son âme dans cette course au tout-technologique ?
Tandis que ces nouveaux « titans » que nous présente Jérôme Bertrand, dont on ne sait s’ils sont encore humains, nous toisent de leur imperturbabilité hypnotique, nous ressentons toute notre vulnérabilité. Plongés dans une atmosphère clinique inquiétante, figés dans un état transitoire, ils paraissent en attente d’un prochain mot d’ordre, leur statut hybride nous donnant l’impression qu’on pourrait encore tout infléchir, ou au contraire, activer leur fonction sur simple commande vocale.
Vanessa Thiolet
2017
Présenté en décembre 2011 à la Galerie Warren G. Flowers située au 4001 De Maisonneuve Ouest, Montréal, QC, CANADA